Les facteurs « psychologiques » qui favorisent le mal de dos

Cas pratique

Vous savez, Docteur, depuis que j’ai guéri mon mal de dos en changeant ma façon de bouger et de me tenir, j’en ai parlé autour de moi. Je vois que certains sont très à l’aise et qu’ils font sans le savoir ce que vous m’avez montré, mais d’autres restent toujours sous tension. À ceux-là, j’ai montré comment un peu de rondeur et d’asymétrie me permettaient d’être bien. Ça les a fait rire et je n’ai convaincu personne.

 

—Eh oui, vous voyez juste ! C’est tout à fait ça. Vos amis ne s’intéressent qu’à ce qui relève du musculaire et ils méconnaissent l’articulaire. Ils vantent leurs nouvelles activités qui leur font du bien mais ils ne changent pas vraiment leur façon de se tenir. Et ceux qui bougent bien continuent à bien bouger et ceux qui ne bougent pas bien continuent ... à avoir mal ! Et, comme je cherche à vous l’expliquer, je pense que le monde de l’articulaire est le plus subtil et le plus riche et que ce n’est qu’à travers lui que l’on peut se découvrir physiquement.

 

J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi il était si difficile de changer les habitudes musculaires pour mieux profiter des articulations. C’est parce que la logique musculaire n’est pas un vrai choix mais une réponse à des peurs et des croyances qui à force d’être répétées sont devenues des vérités premières et qui imposent la priorité musculaire.

La peur de mal se tenir

La peur de mal se tenir est la plus présente.

 

Le relâchement musculaire et la rondeur sont associés à l’avachissement et jugés inacceptables dans notre culture du dos bien droit. La première réaction de mes patients à leur égard est toujours la même : « Mais Docteur, je ne vais tout de même pas me tenir avachi ! » et pourtant, comme j’analyse toutes les personnes que je croise, je peux vous l´assurer :

Les postures les plus élégantes ne sont pas musculaires mais articulaires.

Le muscle est un excellent atout dans la recherche d´une belle allure à la condition que ce ne soit pas lui qui la façonne. Le point de départ de la belle attitude est d’abord l’adaptation à la structure par les jeux articulaires.

 

Mais passer d´une logique musculaire à articulaire n´est pas facile car la culture du corps est construite sur le muscle et, comme tout changement de référentiel, cela requiert une attention inhabituelle.

La plus belle des attitudes est celle que l’on a quand on est soi-même et quand on en est sûr.

Être sûr de son attitude est une sensation physique. Il y a la même évidence que celle de non-douleur. Il y a un accord avec soi-même même s’il faut se mettre en contradiction avec les normes habituelles.

 

En situation douloureuse, c’est la non-douleur qui sert de guide. En situation non-douloureuse, ce sont l’absence de tension, le relâchement, l’équilibre ou la mobilité, …, qui sont les critères à rechercher.

 

Être sûr de son attitude est aussi intellectuel et un travail d’évaluation et d’acceptation est nécessaire pour se forger sa conviction.

 

Au début de mon histoire, je me testais en permanence et me disais souvent qu’il n’était pas possible d’aller aussi loin dans la rondeur et l’asymétrie alors que je les sentais favorables. Je me suis rendu compte que c’était mon cerveau qui sur-interprétait les messages que lui adressaient mes articulations. J’avais l’impression d’être hyper rond alors qu’à l’examen c’était une rondeur modeste et peu visible de l’extérieur.

 

La course à pied et la salsa ont été des terrains d’entraînement propices. Elles m’ont permis de comprendre comment arriver à me libérer de mes tensions dans le mouvement.

 

Etre sûr de son attitude est culturel. Il est dit qu’« à Cuba, toutes les filles sont belles » non pas qu’elles le soient vraiment mais simplement parce que leur culture du mouvement leur donne de l’allure.

 

Placez-vous devant un miroir et imaginez-vous à La Havane : la température est délicieuse, vous déambulez le long de la mer à ce rythme caractéristique des ballades de fin de journée et de vacances. Vous êtes détendue. Vous vous imaginez vous préparer pour aller danser le soir. Vous poussez un grand soupir, vous respirez amplement. Vous vous tenez bien tout en relâchement. Regardez votre visage dans la glace, puis la posture de votre corps. Vous n’êtes pas particulièrement droite mais l’allure est belle et le relâchement se voit sur le visage. Vous vous tenez bien, en accord avec vous-même.

La peur de se voûter plus tard

La deuxième peur est celle de se voûter comme sa grand-mère (que toutes les grand-mères ne prennent pas ça pour elles. Beaucoup ont encore une très belle allure !). Elle est associée à l’idée que le petit enroulement du haut du dos d’aujourd’hui favoriserait un enroulement important plus tard une fois âgée, ce que je comprends bien. Personne n´a envie d´être voûté plus tard et nous sommes tous, à cet égard, logés à la même enseigne.

« Nous nous voûtons avec l´âge parce que nous ne nous tenons pas assez droit. »

Vrai

Faux

Nous nous voûtons non pas par la tenue ronde ou pas assez droite du dos mais parce que l’ostéoporose liée à l’âge fragilise les vertèbres qui se tassent, et parce que les disques intervertébraux s’assèchent et se tassent aussi, ce qui n’a rien à voir avec les postures prises plus jeunes.

La cyphose secondaire à l’ostéoporose et au vieillissement n’est pas la conséquence d’une mauvaise posture.

La meilleure prévention, en dehors des traitements médicamenteux, est le maintien d’une bonne mobilité car le mouvement stimule l’os.

 

L’important n’est donc pas de se tenir faussement droit et guindé en limitant la mobilité mais de trouver la posture la plus favorable au mouvement, quitte à ce qu’elle soit un peu ronde.

 

Je vois bien la logique de demander aux personnes âgées de se redresser pour marcher, mais les première choses que je conseillais à ma belle-mère quand nous allions marcher ensemble étaient de ne pas se raidir et d’accepter d’écarter et d’ouvrir un peu les pieds, de déverrouiller les genoux, de ne pas regarder trop loin et de faire des petits pas pour s’assurer d’avoir de bons appuis au sol. Ça l’amusait et elle marchait sans s’essouffler.

 

la peur de l’arthrose vue sur les radios

« Docteur, je vous ai apporté mes radios ; j’ai de l’arthrose. » déclare le patient en les posant sur mon bureau convaincu que je comprendrais les raisons de son mal de dos en les regardant.

 

C’est rarement le cas. Elles donnent une évaluation du terrain articulaire général mais elle donne rarement les clefs de la douleur.

 

Le piège fréquent auquel le patient et les médecins sont confrontés est que la radio montre des signes d’arthrose mais n’évalue ni la blessure ni l’inflammation ni les blocages ni l’intolérance à la charge qui sont les composantes de la douleur. L’usure du cartilage peut être légère et la blessure importante, ou l’inverse.

 

Ce n’est pas l’arthrose qui fait mal mais sa blessure qui, elle, ne se voit pas sur les radios. L’arthrose est un terrain de fragilité. Elle n’est pas un diagnostic.

Comme le plus souvent en médecine, l’examen clinique prime. La main et le cerveau de l’examinateur ont accès à une somme d’informations sur la nature de l’arthrose qui ne sont pas données par les radios.

La première leçon de radiologie articulaire des étudiants en médecine traitent de l’absence de parallélisme radio-clinique. Des patients peuvent avoir des images spectaculaires d’arthrose et ne pas en souffrir alors que d’autres présentent des images mineures et un problème fonctionnel important. De plus, l’âge venant, avec ou sans mal de dos, on observe souvent des petits signes d’arthrose, de pincement de disque ou de scoliose exempts de signification pratique.

 

Si le patient adapte sa façon de bouger à ce qui est vu sur la radio et pas à l’importance réelle de sa blessure, il peut se montrer trop ou pas assez prudent.

 

L’important n’est pas ce qui est vu sur la radio mais l’évaluation de la mobilité, de la tolérance à la charge et de l’inflammation.

 

Quand les patients se focalisent plus sur leurs radios que sur eux, ils deviennent malades de leurs radios. Ils pensent qu’il est normal d’avoir mal puisqu’ils ont de l’arthrose et ils ne font pas l’effort d’adapter leurs postures et leurs mouvements pour éviter d’avoir mal.

La peur de ne pas faire face : psychosomatique ou somatopsychique ?

Quand un mal de dos ne répond pas aux traitements classiques et que le patient se dit fatigué ou démoralisé, il est classiquement dit « psychosomatique ». On lui fait passer le message que c’est parce qu’il s’écoute trop qu’il a mal et que s’il continuait à vivre normalement et à penser à autre chose, il irait mieux.

 

Je connais cette possibilité d’autant que le mal de dos peut effectivement déclencher des retentissements psychologiques complexes, dits psychosociaux, comme en cas d’arrêt de travail prolongé ou de conflit juridique pour faire reconnaître un handicap.

 

Après un arrêt de travail de plus de 6 mois pour mal de dos, les reprises deviennent très difficiles, même si la pathologie du patient ne semble pas trop importante et semble ne plus justifier d’arrêt de travail. C’est comme si, dans ces circonstances, certains patients entretenaient inconsciemment leur douleur sans avoir la volonté de se mettre en situation de guérir.

 

Mais je sais aussi que beaucoup de situations douloureuses banales traînent et sont considérées psychosomatiques alors que le patient montre sa volonté de faire au mieux avec ses douleurs.

 

La douleur persistante est épuisante et démoralisante. Une bonne partie du cerveau consacre son activité à organiser la lutte et tout demande un effort. Les tensions freinent les mouvements avec la sensation de porter un sac de 10 kg en permanence, ce qui finit par agir sur le moral, sans que l’on soit vraiment déprimé.

 

Il est normal qu’un patient douloureux au travail tout au long de la semaine n’ait pas vraiment envie d’aller trottiner le samedi matin et ne rêve que de s’écrouler sur le canapé pour ne plus bouger.

 

Le patient jugé psychosomatique vit cette situation très mal. Cette suspicion qu’il aurait perdu pied (ce qui peut arriver malgré tout même chez les plus forts) alors qu’il lutte quotidiennement pour faire face, et l’impression de n’être ni entendu ni compris est mal vécue. Si cela se limitait au cercle médical, les patients occulteraient et passeraient outre. Le plus terrible est que le même message passe dans le cadre familial, amical et professionnel. Et si tout le monde le dit, ça devient difficile d’avoir raison seul.

 

En fait, le plus souvent, ces patients ne sont pas psychosomatiques mais somatopsychiques. C’est la douleur qui les épuise et ce n’est pas parce qu’ils sont déprimés qu’ils ont mal. D’ailleurs, en situation de non-douleur, leur moral réapparaît instantanément alors que les antidépresseurs ne les améliorent pas vraiment.

 

Quand je leur souligne ce point, certains me remercient immédiatement comme un cri du cœur : « Merci docteur, vous êtes le premier à me dire que, si je me sens si mal, ce n’est pas dans la tête. »

 

Et ce sont les postures de non-douleur qui aident à faire la différence.

Le somatopsychique est réactif ; le psychosomatique est aréactif.

Le somatopsychique réagit aux sollicitations mécaniques en bien ou en mal. Le bénéfice de la moindre situation de non-douleur se lit immédiatement sur son visage. La non-douleur le ravit.

 

Au contraire, un patient psychosomatique est indifférent : il aura toujours mal, quoi que je fasse. Que je le mette en charge ou en décharge, que je pousse ou que je tire, que je presse ou que j’effleure, rien ne change sa douleur. Son visage reste impassible.

Beaucoup de patients luttent alors que leurs douleurs sont dites à tort psychosomatiques.

Alors, êtes-vous somatopsychique ou psychosomatique ? Ma réponse est simple. Si vous vous avez été suffisamment intéressé par ce site pour prolonger sa lecture jusqu’à ce chapitre, c’est que vous êtes somatopsychique. Votre envie de continuer le combat est réelle ; ce n’est pas votre faiblesse psychique qui vous entretient dans la douleur.

 

Continuez à vous battre et essayez ce que je vous propose. Organisez votre lutte contre les contraintes physiques d’un côté, et les peurs et les croyances d’un autre côté.

A retenir

La participation excessive des muscles dans l’organisation des postures et des mouvements à quelle que chose d’irrationnelle. Même quand ses défauts sont soulignés, il est difficile de la réduire. La raison est que ce sont des peurs et des croyances qui figent les attitudes.


Ce n’est qu’en luttant contre elles qu’il est possible de profiter d’un meilleur équilibre d’action entre les articulations et les muscles, et d’agir sur le mal de dos.

La peur de mal se tenir incite aux positions droites douloureuses