Petit cours de psychologie : « big muscle », le tyran et autres facteurs psychologiques du mal de dos
Il est essentiel de prendre conscience des contraintes physiques que l'on s'impose.
Les maux de dos sont favorisés, accentués et entretenus par les contraintes que nous lui imposons.
Mettre dix ans pour faire correctement un pas de base de salsa, voir toute la journée des patients douloureux alors qu’ils n’ont pas grand-chose, constater les incohérences des postures me semble tellement fou que je m’amuse à penser qu’il y aurait, comme dans « 1984 », une force supérieure de type « Big Brother » qui porte atteinte à la liberté et qui est vénéré malgré tout.
Je lui donne le nom de « Big Muscle ». C’est lui qui imposerait une tension musculaire excessive jusqu’à faire perdre les jeux articulaires et restreindre la mobilité.
Big Muscle contrôle les cerveaux et les muscles.
Big muscle, le pouvoir du muscle
Big Muscle est partout. Vous le voyez dans les corps toujours plus musclés des publicités, dans les salles de sport et chez les médecins, les kinésithérapeutes et les ostéopathes pour qui le renforcement musculaire est le credo.
Big Muscle incite tout le temps tout le monde à se muscler, que ce soit par souci esthétique, pour prendre soin de son corps ou pour guérir... et ce, que l’on soit déjà musclé ou pas !
La propagande place Big Muscle en héros qui libère des maux articulaires et donne force et santé.
Big Muscle répète sans cesse que le mal de dos est la conséquence d’une insuffisance musculaire et il recommande le renforcement des dorsaux, des abdominaux, des muscles profonds, … en oubliant l’importance des jeux articulaires !
Big Muscle ne recommande jamais de relâcher les muscles pour mieux utiliser les jeux articulaires et profiter de leurs capacités.
Effectuer les gestes du quotidien avec une tension musculaire disproportionnée est jugé positivement.
Avec Big Muscle, il n’est pas possible de ramasser une chaussette tout en souplesse en avançant un pied, en ouvrant la hanche, en laissant le buste s’enrouler harmonieusement, en avançant les coudes, en relâchant le cou et en ne tendant le bras qu´en dernier. Il faut contracter les fesses, le dos et les abdominaux par sureté ! Alors que cela contraint le dos, met en pression les disques et limite les capacités d’ajustement articulaire.
Dès que j’entends « Mais, je n’ai rien fait Docteur ! », je me dis que Big Muscle a encore frappé ! Car c’est lui qui masque le ressenti.
Pour moi, Big Muscle a réussi à faire considérer quatre messages comme des vérités indiscutables pour imposer son emprise. Il faut se tenir droit, renforcer ses muscles, avoir le ventre plat et plier les genoux le dos droit.
Chacun de ces messages pris individuellement et appliqué avec mesure est bénéfique en soi et préférable à leurs contraires (être mou et avachi, laisser son ventre tomber, et avoir les genoux raides) mais
Big Muscle fait perdre le sens de la mesure.
Ce message est difficile à faire passer mais « savoir renoncer au tout pouvoir du muscle » a tellement d’avantages pour ceux qui ont mal au dos que je prends le risque de le transmettre quitte à passer pour un illuminé, mais je n’ai pas de doute. Je ne transmets que ce que je constate et je laisse ensuite le cerveau du patient faire ses choix.
Se tenir droit
Le problème n´est pas de se tenir droit mais de se tenir trop droit sans prendre en compte sa structure et ses tensions.
La révélation nécessaire est qu’en se tenant trop droit, les muscles forcent et verrouillent ce qui n’est plus le cas quand on se tient avec mesure.
Le test de la mobilité permet d’apprécier le juste droit :
- Le cou est libre de faire oui-oui.
- Les épaules peuvent balloter.
- La respiration est ample et accompagne les mouvements des bras.
- Le bas du dos passe facilement d’une position cambrée à une position arrondie.
- Les déhanchements et les déverrouillages des genoux sont faciles à induire.
- Les appuis sont perçus.
Les réponses négatives signalent les postures trop droites et engagent au travail sur la rondeur et l’asymétrie.
Le renforcement musculaire
Donner la primauté au muscle en permanence est devenu la règle générale et s’en défaire est difficile. « Comment mettre de la modération dans les muscles pour donner de la justesse aux postures et aux mouvements ? » est vraiment la question.
Mais attention, le but n’est pas de renoncer au corps musclé :
- Oui, avoir des muscles en forme fait du bien,
- Oui, avoir des muscles en forme est bon pour la silhouette,
- Oui, avoir des muscles en forme est bon pour le dos,
- Oui, avoir des muscles en forme permet de faire plus,
mais, quand on serre tout tout le temps, la raideur n’autorise plus les bons gestes !
Le muscle n’a pas que des avantages, loin s’en faut.
Il est souvent dit aux patients qu’ils sont trop tendus et pas assez musclés. La priorité est alors donnée au renforcement musculaire.
Mais alors quand s’occupe-t-on des tensions et du relâchement ? Jamais
Or un muscle se contracte d’autant mieux qu’il est relâché.
A titre personnel, je privilégie le relâchement et je sais que, pour danser la salsa ou courir le marathon, j’ai plus besoin de lui que de renforcement musculaire.
C’est pour le bien des muscles qu’il faut apprendre à les relâcher.
À voir les sportifs, nous nous trompons. Nous voyons leurs muscles et nous ignorons tout de leur relâchement alors que, s’ils sont champions, c’est que généralement, ils le maîtrisent parfaitement.
Au cours de la retransmission d’une Coupe de monde de descente féminine de ski, la meilleure skieuse de l’époque s’envole sur une butte à plus de 100 km/h et se reçoit beaucoup plus loin en douceur sans la moindre projection de neige.
La commentatrice qui était une ancienne championne s’exclame : « Quelle perfection ! Quel relâchement ! »
Ça m’a fait plaisir d’entendre cela. La performance est dans le relâchement.
Les muscles protègent les articulations
Big Muscle fait croire que la qualité des mouvements est assurée par les muscles, et que les contracter est un gage de sécurité.
Quand une articulation est devenue instable pour des raisons médicales ou traumatiques, son contrôle musculaire s’avère nécessaire pour la protéger mais, en dehors de ce cas particulier, les articulations assurent leur propre protection et le recours aux muscles n’est pas nécessaire.
Fluidité, équilibre, appui, complémentarité, relâchement ou écoute sont des moyens de protection plus efficaces et plus fonctionnels que le muscle.
Les muscles ne compensent jamais totalement un mauvais placement articulaire.
La force est d’abord une affaire de synergie
La synergie est le terme utilisé pour parler de la complémentarité des organes dans l’accomplissement d’une fonction physiologique. C’est la mise en commun de plusieurs actions concourant à un effet unique et aboutissant à une économie de moyens. (Larousse).
La synergie des muscles et des articulations font la force bien plus que les muscles quand ils jouent en solitaire.
Big Muscle en demandant de renforcer les abdominaux, de travailler les biceps ou de pratiquer le gainage sans considération articulaire nous prive de la synergie naturelle qui existe entre les articulations et les muscles.
Le boxeur bodybuildé est mis KO par son adversaire moins musculeux, mais plus rapide et plus précis. Des muscles puissants incitent souvent à un contrôle excessif. La puissance est articulaire.
La puissance des muscles est au service des jeux articulaires.
Un seul point de verrouillage musculaire peut suffire à limiter la mobilité générale. Un contrôle excessif du bas du dos prive le cou de mobilité. Pour regarder en l’air, cambrez-vous. Pour regarder par terre, reculez le buste pour faciliter l’enroulement lombaire. Comment avoir une bonne respiration si les muscles du dos sont tendus ?
Le renforcement musculaire ne trouve sa valeur que s’il est accompagné d’un juste placement articulaire.
Or, Big Muscle ne compose pas avec les articulations ! Il veut tout le pouvoir !
Avoir le ventre plat
Dans sa stratégie de conquête, Big Muscle a un allié de poids, le mythe du ventre plat. Le corset a été supprimé ; les abdominaux ont pris le relais. Le ventre plat est un incontournable. Entre prendre soin de soi et avoir le ventre plat, le choix est généralement fait : « On sert d’abord le ventre et on s’occupe de soi après ! ».
La tyrannie des abdominaux
Nombreux sont ceux qui contractent leurs abdominaux en étant persuadés que c’est nécessaire pour leur physique, leur apparence, leur dos, etc.
Avec eux, ce n´est jamais suffisant ! Ceux qui pratiquent deux fois par semaine voudraient trois fois, ceux qui font trois fois visent quatre fois. S’ils arrêtent un mois, ils sont catastrophés. Tout est à refaire. S’ils en font tous les jours, c’est toujours l’insatisfaction ; il faut insister sur ceux-ci ou ceux-là. Bref, c’est la tyrannie.
Serrer les abdominaux pour maintenir ses postures ou rentrer son ventre ne sont pourtant pas physiologiques car les abdominaux sont des muscles de mouvement et non de maintien.
Contractés, ils limitent la capacité respiratoire, ils maintiennent une pression sur les disques lombaires, ils réduisent la mobilité du torse et du bassin, …
Je comprends bien l’envie d´avoir le ventre plat mais contracter ses abdos n´est pas la bonne solution ! Il vaut mieux les tendre que les serrer.
Se tenir droit en maintenant le ventre contracté est une posture de contrainte qui ne respecte pas la structure.
Rechercher à avoir le ventre plat impose au corps les mêmes contraintes que le mal de dos. Les solutions sont les mêmes !
On ne se donne de l’allure et on ne corrige au mieux son « petit ventre » qu’en respectant sa structure et en évitant de se contraindre. Ce sont les techniques du « se tenir bien » et non celles du « se tenir droit » qui s’appliquent.
À chaque fois qu’il y aura la tentation de contracter les abdominaux, relevez le point du maintien au centre du sternum, tournez légèrement le torse d’un côté pour apporter un peu d’asymétrie, avancez le bassin et redressez le torse pour tendre les abdominaux sans les contracter.
Plier les genoux le dos droit
Big Muscle transmet l’idée qu’il faut plier les genoux le dos droit pour se baisser en toutes circonstances. En parler est un dilemme.
D’un côté, comment conseiller de faire autrement sans s’attirer la foudre de confrères, de kinésithérapeutes et de professeurs de sport alors qu’ils ont tous des référentiels professionnels scientifiquement validés ? Comment être crédible alors que des millions de patients appliquent cela méthodiquement pour préserver leur dos depuis si longtemps ?
D’un autre côté, quand je vois la maladresse de mes patients douloureux qui s’astreignent à un tel exercice alors que des versions plus libres comme celles que je vous ai présentées peuvent être faites sans douleur et sans contrainte, il me semble que j’ai le devoir de partager ce que je constate.
Sur le papier, la méthode paraît simple et logique. Pour protéger son dos, il suffit de le verrouiller en position droite et de faire faire le travail par les genoux. Pour les patients de référence qui sont souples, qui ont une structure droite et de bons genoux, le système fonctionne. Dans les situations de référence où l’objet a ramassé est bien positionné devant vous avec de bonnes prises, le système fonctionne encore.
Mais, dans la vraie vie avec des patients qui ne sont pas des références droites et dans des situations moins favorables, ce système est inadapté. Il ne fait profiter ni des positions de force en rondeur et en asymétrie, ni de la puissance de la hanche, ni de la complémentarité entre les genoux et les épaules, ni des ajustements et des appuis procurés par les déverrouillages, ….
En verrouillant le bas du dos, le torse, le cou, les épaules et la respiration sont également bloqués et ne participent pas à la logique articulaire globale, et les sensations de contrôle sont absentes.
Et si on ne veut pas trop théoriser mais rester pratique, je constate que c’est avec ce type de méthode que les patients se blessent le dos en mettant leurs lacets le matin ou en ramassant un savon sous la douche ou en éternuant le dos droit.
Pour celui qui a mal au dos, prendre position pour une nouvelle proposition aussi opposée à celle qui sert de norme n’est pas facile mais j’en reviens à ce que je vous propose depuis le début de cette présentation : choisissez des situations simples, prenez un peu de temps, testez-vous en vous laissant guider par la non-douleur. Ecoutez votre dos, travaillez les jeux articulaires en commençant petit et ne changez vraiment votre façon de faire que quand vous vous sentirez sûr de vous.