Petit cours de sensorialité : explorer les sensations et apprendre à s’écouter
Je vous ai montré comment soulager votre dos par des ajustements mécaniques. D’autres ajustements plus subtils sont possibles à la condition d’écouter ses sensations.
Pourquoi écouter ses sensations ?
Il faut écouter ses sensations !!
- Les sensations sont le langage des articulations. Elles nous parlent et nous informent.
- Les articulations sont dans le « vécu » alors que le cerveau théorise.
- Les articulations vivent les mouvements de l’intérieur alors que le cerveau les vit de l’extérieur.
- Les sensations permettent d’évaluer et de régler l’ajustement des jeux articulaires dans leur finesse et leur complexité.
Essayez de faire tourner la tête au-dessus du torse comme le jongleur avec une assiette et une tige de bambou. C’est impossible à organiser mécaniquement alors que le système sensoriel le fait très bien.
- Les sensations harmonisent la collaboration entre les articulations et les muscles.
Après avoir couru longtemps, apparaît un moment magique où, la fatigue faisant, les jeux articulaires prennent le dessus sur les muscles et la course devient fluide.
Le but du jeu, en cas de mal de dos mais aussi dans les mouvements simples du quotidien, est de rechercher la sensation de fluidité en pondérant la part prise par les muscles grâce à l’écoute des sensations.
- La spontanéité passe par l’autonomie du système sensoriel.
"Mais si je passe mon temps à m’analyser, je ne vois pas comment je vais pouvoir être spontané ?"
Oui, bien sûr, mais d’un autre côté, si vous manquez de spontanéité, ce n’est pas en continuant à appliquer les mêmes règles de fonctionnement que ce manque va se corriger.
En fait, le but n’est pas de chercher à réorganiser le système sensoriel mais de comprendre que c’est le manque de mobilité et l’excès de contrôle musculaire qui empêchent son expression.
L’analyse ne vise pas directement à mettre de la spontanéité dans les gestes, cela n’a pas de sens, mais à vérifier que les postures permettent aux articulations de libérer les muscles de leur rôle de maintien.
Le manque de sensorialité est la conséquence de la perte des ajustements articulaires et de l’excès de contrôle musculaire.
- Culture physique et culture sensorielle se complètent.
Il faut aussi écouter ses sensations.
- pour sentir tout simplement si vos articulations bougent et pour les faire bouger mieux ou davantage,
Les femmes (plus que les hommes pour des raisons culturelles de maintien) mettent leurs épaules le matin en arrière et les récupèrent le soir sans qu’elles aient bougées de la journée.
Perte de mobilité, raideur générale et douleur du dos sont au rendez-vous !
- pour apprendre à sentir,
Quand je tends fort les doigts de ma main, je ressens une tension en toute fin du mouvement. Quand je les tends moins fort, la tension disparaît.
Faites la même chose avec le dos. Vous devriez ressentir une tension en fin d’extension qui disparaît en la réduisant.
Apprendre à sentir les tensions et à les relâcher est un bon début pour gérer le mal de dos.
- pour apprendre à connaître le système sensoriel et sa richesse.
Un monde sensationnel
Pour chaque mouvement, même le plus simple, les articulations parlent... ou plutôt elles chuchotent. Si elles parlaient fort, ce serait la cacophonie et elles rendraient sourds. Comme elles chuchotent, il faut tendre l’oreille. Il n’est pas nécessaire de porter attention à toutes les articulations en permanence mais à la demande. Sans elles, il n’y a pas d’information et il n’est pas possible d’améliorer ses postures.
Les sensations sont des informations.
Quand tout va bien, quand les mouvements sont fluides, les messages sensoriels ne sont perçus qu’en y portant une attention particulière. Il n’y a pas à intervenir.
Dans d’autres circonstances, les sensations sont d´une infinie variété.
Certaines sont négatives, dont la plus forte, celle que vous cherchez à éviter, est la douleur : les articulations, lassées de chuchoter sans se faire entendre, passent aux cris. On notera aussi l’inconfort, la gêne, le déséquilibre, le manque d´appui, la maladresse, le manque de force, etc.
Certaines sont positives. Ce sont des chuchotements plus subtils comme la stabilité et l´appui des verrouillages, et comme le glissement, le lâcher-prise ou le roulement des déverrouillages. Il y a aussi la facilité, l’aisance, la force, l’efficacité ou le plaisir, mais aussi la légèreté, la tonicité, la fluidité, etc. À vous de mettre des mots sur vos sensations. Elles peuvent être un objectif comme le mouvement plaisir mais elles sont avant tout des moyens pour analyser les jeux articulaires.
« Se tenir droit » ou « se tenir bien » ? Tout est une question de sensation !
Entre l´impératif du « se tenir droit » souvent entendu et le message beaucoup plus relatif de « se tenir bien », ce sont deux mondes différents.
- « Se tenir droit » impose une conduite qui ne tient compte ni des situations articulaires ni des messages sensoriels : il faut avoir le dos le plus droit possible et c´est tout. On obéit à une règle.
- « Se tenir bien » conduit à trouver et à finaliser, à partir des sensations articulaires, une posture adaptée à ses propres capacités et aux circonstances. C’est une invitation à la connaissance de soi.
C’est le juste ressenti de toutes les articulations qui donne la justesse globale de la posture.
Les sensations guident la façon de se tenir et de bouger.
C’est un changement de perspective : plutôt que de se focaliser sur l´objectif du mouvement, l’objectif est de se concentrer sur le mouvement et sur les sensations.
C’est par les liens établis entre le monde des sensations et celui des articulations que se construit peu à peu la conscience articulaire.
La conscience articulaire est le centre opérationnel virtuel qui fait le lien entre le système articulaire, le système sensoriel et le cerveau.
La proprioception
La conscience articulaire a une sensibilité qui lui est propre, la proprioception. C’est la sensibilité interne qui procure la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps.
Les récepteurs mécaniques de Ruffini
Pour votre culture personnelle, et parce que le nom est joli, les informations sont fournies par les corpuscules de Ruffini qui se trouvent au niveau des capsules articulaires. Ils sont surtout actifs en fin d’amplitude, quand la capsule est mise alors sous tension.
Ces récepteurs sont d’autant plus sensibilisés que l´articulation est mobilisée dans ses axes à faible amplitude parce que la capsule y est plus sollicitée.
Si le bras est posé sur une table coude à 90° et que vous faites des petits mouvements de flexion et d’extension, vous ne recevez que très peu d’information sur son déplacement alors que, si vous exercez une rotation dans un sens et dans l’autre, vous percevez des tensions utiles pour guider un geste très précis.
Tout l’art du contrôle des mouvements est de placer ses articulations pour que les récepteurs de Ruffini soient stimulés.
La proprioception permet les ajustements articulaires les plus fins.
Elle donne de la fluidité aux mouvements, de la précision aux gestes et de la qualité aux appuis.
C’est elle qui permet d’ajuster les postures aux particularités des structures. Elle prévient du passage des zones de mobilité libre à celles de contrainte.
Quand vous bombez le torse et amenez les épaules en arrière pour vous donner de l’allure, les informations reçues sont douces jusqu’à un point d’extension où vous sentez une tension s’installer. C’est le point du maintien, celui de la juste mesure et de la meilleure allure. Aller au-delà est source de contrainte.
Une façon de s’entraîner à percevoir ces sensations est de fermer les yeux, de bouger tout le corps et d'en construire une image mentale : mains, pieds, genoux, mais aussi hanches et épaules sont parfaitement situés sans être vus.
Mais cette proprioception est fine et perçue sous deux conditions : ne pas être couverte par des messages plus forts comme la douleur ou les tensions musculaires, et une mobilité présente dans les petits axes.
La proprioception est une sensibilité fine masquée par le mal de dos et par les tensions musculaires.
La douleur est un message d’alerte qui prévaut sur les messages d’ajustement de la proprioception.
La contraction des muscles, qui est le réflexe habituel de protection en cas de blessure, réduit au minimum nécessaire la mobilité et supprime la stimulation des capteurs capsulaires.
Le mal de dos limite les capacités mécaniques et sensorielles.
La recherche de la non-douleur et des appuis en faveur du relâchement musculaire permet de profiter à nouveau de mobilité et de proprioception, et de reprendre le contrôle de la situation.
En limitant les tensions musculaires, un cercle vertueux se met en place : les articulations sont mieux entendues, la mobilité améliorée, les postures ajustées et les muscles moins nécessaires.
En cas de mal de dos, une sécurité active est à privilégier avec la décharge du disque et du relâchement :
- Dans les cas difficiles, c’est la position couchée buste et cou légèrement relevés avec les jambes à l’équerre ou avec une seule jambe repliée, hanche ouverte.
- Quand la douleur est mieux tolérée, la position assise avec l’appui des mains de chaque côté des cuisses permet de détendre son dos, de reculer son buste et de déverrouiller le bassin. Le but est de rechercher l’appui lombaire sur la structure et de vérifier sa tolérance en diminuant petit à petit l’appui sur les mains. Si besoin, il faut rajouter le soutien lombaire avec la serviette éponge.
En cas de mal de dos, décharger son disque dans les postures élémentaires grâce aux appuis de structure muscles relâchés est la première étape pour retrouver la perception et la mobilité de son dos.
La proprioception demande une attention à ses postures !
"Mais, Docteur, je fais du Pilate et je renforce mes muscles profonds pour mieux bouger ! Vous voulez vraiment que je les serre moins ?"
En général, le garant d’une bonne gestuelle est la perception de ses jeux articulaires et des sensations positives de fluidité, de facilité, d’équilibre, de respiration, … Préférer s’en passer est un choix de vie !
En cas de mal de dos, l’enjeu est plus important. Il s’agit de guérir. Quand la version habituelle des patients « muscles serrés » leur permet de guérir, la question ne se pose pas. Ils ne changeront pas leurs habitudes, quelles que soient mes belles paroles. Quand le mal de dos persiste, la situation est différente. Faut-il insister en serrant plus ou changer de logiciel et serrer moins ? La réponse se trouve dans la mise à l’épreuve, tout en s’appuyant sur des raisons solides pour desserrer ses muscles.
1. La tension musculaire masque les sensations articulaires. Essayez avec le poignet : relâchez tous les muscles de l´avant-bras et faites un léger mouvement de rotation du poignet. Maintenant, reproduisez le mouvement en contractant tous les muscles jusqu´à la main. Comparez les sensations de ces deux versions. Quelle mobilité paraît préférable ?
2. La tension musculaire limite la mobilité. Elle est un frein aux jeux articulaires, particulièrement pour les mouvements dans les axes à faible mobilité. La contraction des muscles du dos vous maintient mais bloque le bassin et le torse, et limite la mobilité des hanches, des genoux, des épaules, …
3. La tension musculaire limite le contrôle de la pression discale.
Le « tout en souplesse »
Une autre sensation m’a aidé à mieux bouger, c’est le « tout en souplesse ».
Mais attention ! Souplesse et « tout en souplesse » ne sont pas équivalents :
- La souplesse est la capacité à faire des mouvements de grande amplitude comme le grand écart facial ou mettre les mains à plat au sol en se penchant jambes tendues. La souplesse est une qualité musculaire et ligamentaire.
"Les étirements rendent-ils vraiment plus souples, Docteur ?"
Oui, parce que si vous vous êtes enraidi avec les années, vous pourrez retrouver assez rapidement votre souplesse de base, ce qui vous fera beaucoup de bien.
Et non, si vous êtes déjà actif, les étirements ne vous feront pas gagner en souplesse, à moins qu’ils ne soient répétés très souvent et très longtemps, ce que peu de gens font.
Mais ce n’est pas parce qu’ils n’allongent pas les muscles efficacement qu’ils ne font pas du bien. Que ce soit en séance de stretching, après le sport ou pour se défatiguer, les étirements doux détendent et apprennent à contrôler son état de tension.
Les jeunes ou les sportifs professionnels sont un autre monde et peuvent gagner sur ce que la nature leur a donné.
- Le « tout en souplesse » n’est pas de même nature. Il n’est ni musculaire ni ligamentaire ; il est articulaire. C´est la capacité à limiter les freins au mouvement en utilisant au mieux les articulations.
Le « tout en souplesse » est l’art d’organiser ses postures et ses mouvements en privilégiant le contrôle articulaire à la tension musculaire.
Le principe est de privilégier le rôle d’inducteur de mouvement du muscle et de minimiser celui de maintien. Des appuis justes sur les chevilles, genoux et hanches permettent une flexion douce des jambes tout en réduisant le rôle musculaire des cuisses et des abdominaux.
Le mouvement « tout en souplesse » :
- favorise les appuis sur la structure par les jeux d’équilibre et les transferts de poids,
- répartit le travail et l’ajuste pour qu’aucune articulation ne soit soumise à une pression contraignante,
- minimise l´effort musculaire en s´assurant que le reste du corps est détendu,
- évite les contraintes du dos, ce qui est ici l’objectif prioritaire.
Il est source de bien-être dans les situations les plus simples du quotidien et de performance dans les mouvements sportifs plus complexes.
Le « tout en souplesse » est accessible à tous. C’est un jeu du corps et de l’esprit qui nécessite plus une attention qu’une connaissance de soi.
À mes patientes qui ont des douleurs de dos anciennes, je demande si cela leur arrive de danser et la réponse est régulièrement la même : « Écoutez, Docteur, ce que je vais vous dire va vous étonner. C’est le seul moment où je n’ai pas mal. J’ai été à un mariage il y a deux mois. Je ne me suis pas arrêtée. J’ai été épuisée et un peu douloureuse mais pas beaucoup plus que d’habitude ! »
Mais vous ne m’étonnez pas. C’est ce que toutes mes patientes me disent. C’est le seul moment où vous avez la liberté de vous relâcher et où vous êtes « tout en souplesse ». Vous voyez ce qu’il vous reste à faire. Dansez votre vie ou, en tout cas, insufflez l’esprit « danse » dans vos mouvements et dans vos postures.
Eloge de la lenteur
Je vous invite à mener les recherches de mobilité avec lenteur. C’est une alliée qui facilite la conscience du corps et l’analyse des informations sensorielles à la condition qu’elle ne soit pas de la nonchalance.
La lenteur souligne les approximations dans la préparation des gestes, dans les équilibres ou dans la fluidité. Elle aide la perception des appuis, des transferts de poids ou des déverrouillages.
Quel que soit le mouvement, qu’il soit quotidien, sportif ou professionnel, il est intéressant de le reproduire au ralenti pour en travailler les détails.
Les pratiquants d’arts martiaux utilisent la lenteur pour parfaire leurs mouvements. La rapidité et la précision des mouvements sont développées par la maîtrise du geste ralenti.
La lenteur permet :
- la prise de conscience fine du mouvement,
- les ajustements articulaires,
- le contrôle de l’équilibre dans les transferts de poids,
- le travail sur le relâchement,
- la recherche d’une meilleure respiration,
- la réduction des risques de blessures.
Tout ce qui est bon pour vous !
Le « relachement articulaire »
Le relâchement est une nécessité dans l´exploration de la mobilité.
Je vous rappelle qu’il est d’abord articulaire. La détente mentale a son rôle mais son bénéfice sera réduit si les articulations du cou, épaules, torse, dos et membres sont verrouillées.
En cas de douleur, le relâchement est facile à identifier : en position de soulagement, les patients se détendent instantanément et l´apaisement se voit sur leur visage !
À force de dire que les tensions sont musculaires ou mentales, on oublie qu’elles sont souvent la conséquence de la façon de se tenir et de bouger.
Le « relâchement articulaire » est vertueux. Il libère les muscles de leur travail de maintien et devient lui-même source de relâchement.
Relâchez-vous !
Demander à une personne de se relâcher physiquement est souvent sans effet ; elle essaie depuis longtemps sans pourtant y arriver.
Je me souviens de mes cours de tennis. Le professeur me disait que j´étais trop contracté et que je devais me relâcher. Mais il ne m´expliquait pas comment... J’avais envie de lui répondre que je le savais déjà et que si je prenais des cours, c’était justement pour qu’il m’apprenne à le faire ! Je sais maintenant que pour y arriver je devais m’adapter à la rondeur de ma structure.
Le relâchement en position assise :
Asseyez-vous au fond d’un fauteuil en vous mettant un peu de côté, en reculant le buste, en laissant le bas du dos s’enrouler et en prenant un bon appui sur le dossier. Placez un gros livre sous l’un des pieds. Croisez les bras. Amenez la main du dessus près de la joue et laissez la tête prendre appui sur elle en douceur. Respirez profondément, sentez le corps suivre le mouvement de la respiration. Baissez et fermez les yeux.
Ressentez-vous un début de détente ?
Quelques conseils de relâchement :
- Passez en revue les articulations. Un seul verrouillage peut l’empêcher.
- Pratiquez les postures en accord avec sa structure. N´hésitez pas à mettre de la rondeur dans les postures trop droites.
Quand une jeune femme droite comme un I, ventre serré, cou tendu me parle de ses difficultés de relâchement malgré le yoga, la piscine, le Pilate, je l´invite à sortir d’une droiture excessive tout en déplorant les impératifs inadaptés qu’elle s’impose.
"Comment faire pour me relâcher? En yoga, j’y arrive à peu près mais au quotidien, dans le feu de l’action, c’est mission impossible" !
C’est une question capitale car, pour prendre soin du dos, il est essentiel de pouvoir le relâcher et j’espère qu’à la fin de votre lecture vous aurez trouvé quelques clefs qui vous aideront dans le feu de l’action.
Le relâchement ne se décrète pas. Il se construit. L’idée est que les muscles ne se tendent que parce qu’il leur est demandé d’assurer un maintien. Il est possible d’agir à la marge sur les tensions en commandant directement au cerveau de les limiter mais le meilleur moyen est le même que celui qui permet de soulager les dos. C’est celui d’une réorganisation des postures pour permettre aux articulations d’assurer un travail de maintien plus important et de limiter celui des muscles.
Vous sentirez les bénéfices des ajustements articulaires si les muscles sont détendus. Ils apporteront alors aux postures et aux mouvements un surcroît de stabilité qui diminuera la tension des muscles. Pour en profiter, veillez à être à l’écoute du corps et des ressentis, et jouez le jeu du relâchement !
A retenir
Les sensations informent de la justesse des postures et des mouvements, encore faut-il être en situation de les entendre.
Ce sont à nouveau les jeux articulaires et le travail sur les postures qui le permettent en limitant les tensions et les douleurs.